Marthe MARIGNY
Récit
d'après les souvenirs rassemblés par Serge REMY auprès de ses parents,
de ses oncles et tantes et de Marie-Claude BROVILLÉ.
Merci à Pierre MARIGNY, neveu de Marthe, d'avoir confié les photos
qu'il avait archivées.
Merci à Michelle MARIGNY, nièce de Marthe, d'avoir confié des photos et d'avoir évoqué souvenirs et anecdotes.
Marthe MARIGNY est née à Port-sur-Seille le 2 février 1907.
Ses parents étaient cafetiers à Port-sur-Seille ;
- elle avait une sœur Marie-Eugénie (dite Nini), et deux frères Marcel
(père de Françoise et de Pierre) et Paul (père de Michelle et d'André).
Comme tous les habitants de
Port-sur-Seille, elle subit les vicissitudes de la guerre de 1914-18.
Le père est mobilisé et sa mère décède.
Devant l'avancée allemande, les familles furent condamnées à l'exil, le
village étant brûlé. |
|
Exil vers Passy-sur-Yonne, Marthe étant placée
dans une pension religieuse à Sens. Une pension, à la vie très rude,
mais
où elle manifesta d'énormes qualités tout en obtenant son certificat
d'études à 9 ans.
Sa sœur "nini" étant alors réquisitionnée pour faire
les lessives des soldats américains.
De retour à Port-sur-Seille elle
connut avec sa famille les baraquements provisoires, en bois, mis en
place pour
héberger les familles dans le village.
Comme sa sœur, dès qu'elle "eût
l'âge", et malgré ses capacités et sa réussite scolaire la prédisposant
à faire des études, on songea à la "placer".
Elle avait 14 ans, lorsqu'elle fut
placée comme domestique dans une première famille (VIAL, architecte)
chez qui elle serait restée plusieurs mois avant d'être embauchée par
mes
grands-parents.
|
C'est ainsi, que Marthe, jeune-fille de
"bonne famille", recommandée par
un prêtre, entra au service de la famille REMY à Nancy, au 24-26 quai
Claude le
Lorrain (au coin de la rue Lepois).
Marthe s'était vu attribuer
une
chambre avec cabinet de toilettes et wc indépendants, sous les toits (celle où on aperçoit
la petite fenêtre ronde). |
|
Lors de son arrivée elle côtoie
chez les REMY la "tine" (Julia POINSIGNON dite Justine), qui, excellente
cuisinière, lui transmettra son
expérience et ses "recettes".
Marthe s'est totalement investie au sein de la famille REMY qui était
devenue "sa famille". Un travail qui ne lui laissait pas de
libertés, s'occupant de tout.
C'était elle qui répondait au téléphone (le 53 05) pour prendre les
rendez-vous des patients du Docteur
André REMY;
c'était elle qui accueillait les patients qui sonnaient à la porte de
la "consultation"; c'était elle qui accueillait la famille ou les
prêtres qui rendaient visite à ma grand-mère Marie-Louise GREFF
(responsable nationale des "mères chrétiennes").
C'est elle qui s'est
occupée
des enfants à partir de 1928, tout en ayant à sa charge le
quotidien de toute cette grande maisonnée (entretien, ménage,
blanchissage, cuisine).
|
Elle allait à aussi à Pont-à-Mousson
préparer la maison, louée à l'année jusqu'en 1939, à Madame GRIETTE pour les vacances, en bordure de Moselle.
Cette maison était inondable jusqu'à la construction du barrage.
Maison qui fut réquisitionnée pour y loger les victimes des bombardements de Pont-à-Mousson.
Elle préparait les voyages
familiaux où elle poursuivait son investissement de "domestique". On la
voit par exemple sur la photo de droite à la gare de Pont-à-Mousson
avec mon grand-père, ses cinq fils (mes oncles et mon père). La photo
étant réalisée par Marie-Louise GREFF, ma grand-mère. |
|
Elle était appréciée de tous et sa
patronne (ma grand-mère) qu'elle
appelait "Madame", consciente que son total dévouement se faisait aux
dépens de ses libertés, lui permettait d'inviter régulièrement sa
famille.
D'une éducation et d'une nature
généreuse elle avait une force de caractère peu commune alliant rigueur
et bonté, qui la faisait constamment s'investir pour le bien-être et le
bonheur des autres.
Il nous a été raconté que durant
la guerre 1939-45, en plein hiver, elle prenait le tram et son vélo
pour aller de
Nancy à Port-sur-Seille (33 km) déterrer des pommes de terre cultivées
par sa famille et les ramener avec d'autres légumes pour nourrir la
famille REMY. Trajet qu'elle faisait en bravant l'armée allemande et la
police française.
Sur la photo ci-contre (récolte de pommes de terre à Port-sur-Seille),
on aperçoit de gauche à droite le grand-père Ferdinand MARIGNY; Jacques, un voisin ;
Marcel MARIGNY; Paul MARIGNY; Dominique et François REMY ; le petit garçon en avant : Pierre MARIGNY.
|
|
Marthe a toujours été très proche de ses frères et sœurs. Elle faisait
son possible sur ses rares temps libres pour faire du tricot, coudre
des vêtements évoluant avec la taille de ses neveux et nièces.
Sur cette photo, on peut voir
Marthe et sa sœur "Nini" à Port-sur-Seille (maison dont toute la
fratrie MARIGNY avait laissé la jouissance à Nini en reconnaissance
d'avoir gardé et soigné son père Ferdinand). |
|
Elle savait que sa sœur "Nini", sans ressources autres que des
"petits-boulots" au village de Port-sur-Seille, s'était engagée comme
nourrice pour
accueillir des enfants placés par l'Assistance Publique.
Marthe avait beaucoup d'admiration pour sa sœur et considérait les
petites filles élevées par sa sœur comme étant ses nièces.
C'est ainsi qu'elle se prit d'affection pour deux "gamines",
Marie-Claude BROVILLÉ et Antoinette LAFLEUR.
Elle les accueillait avec plaisir
lors de leurs venues à Nancy et pouvait les inviter à passer des
vacances chez ses "patrons".
C'est ainsi qu'avec mon frère nous fîmes
connaissance chez nos grands-parents de ces deux filles qui ont partagé nos jeux de gamins.
|
Sur la photo de gauche, je suis avec
mon frère Yves aux côtés de ma grand-mère et de Marthe
Sur la photo de droite,
Antoinette LAFLEUR et Marie-Claude BROVILLÉ |
|
En rédigeant ma généalogie,
j'avais essayé de rassembler des souvenirs
et m'étais inquiété en 2010 de ce qu'étaient devenues ces "gamines".
Une recherche sur internet me fit découvrir le 8/11/2010 quelques
bribes sur Marie-Claude sur le site trombi.com.
Un mail par l'intermédiaire de ce site m'incita à la contacter, mais il
resta sans réponse.
Entre temps j'avais trouvé une
page sur internet, rédigée en 2008, où Marie-Claude résumait sa vie et
ses très gros soucis de santé. Mais impossible de la joindre, de savoir
comment la contacter.
Une recherche sur l'annuaire début 2012 me fit découvrir, à
Port-sur-Seille, un Monsieur
Pierre MARIGNY que je me suis empressé d'appeler et qui me confirma
qu'il était
le neveu de Marthe mais qu'il n'avait plus de nouvelles depuis bien
longtemps
de Marie-Claude et Antoinette.
Il m'invita à passer le voir et avec grand plaisir me confia quelques
photos dont certaines où j'apparaissais.
Et "surprise", le 24 juin 2012, sur une adresse mail que je
n'utilise plus
puisqu'obsolète, je reçois un message envoyé par
Marie-Claude FILLET .
Pensées et démarches qui se
recoupent un demi-siècle plus tard en renouant le contact avec
Marie-Claude.
Les messages échangés depuis me
font découvrir toute la vie et les ressentis de Marie-Claude aux
différentes étapes de sa vie et j'ai le bonheur, par son intermédiaire,
de découvrir des facettes inconnues de mes grands-parents.
En effet, lorsque "gamins" nous
allions chez mes grands-parents, c'était de temps en temps, le jeudi où
nous n'avions pas d'école. Nous pouvions bénéficier de la présence de
notre grand-mère et de toutes les attentions de Marthe, mais nous avons
peu connu notre grand-père, accaparé par l'exercice de sa médecine, qui
pour un repas à 12h ne pouvait arriver que vers 12h30, 13h, après son
dernier patient du matin et qui dès le repas terminé repartait à son
cabinet de consultation.
Marie-Claude, en venant pour des
"vacances" a pu côtoyer et connaître mes grands-parents dans leur
quotidien et ses souvenirs enrichissent donc ma mémoire.
Marthe MARIGNY, après le décès de
mon grand-père (7 octobre 1953) continua à s'occuper de ma grand-mère.
Grand-mère, malade et perdant de jour en jour un peu plus de sa
mobilité ce qui ne permettait plus à Marthe, de s'en occuper seule.
Mon père recruta alors une deuxième "dame de compagnie", Augustine
COLIN (née le 15 octobre 1908 à Blâmont), que nous appelions "Tinou".
|
Sur
la photo de gauche, prise dans la salle à manger de mes
grands-parents, Marthe est décorée de la Médaille du Travail par
François
VALENTIN, sénateur, puis député (président de la commission de la
défense nationale et des forces armées), parent de la famille REMY par
les TRIBOULOT.
Sur la photo de droite, Marthe, médaillée et diplôme en mains, associe
"Tinou" aux festivités. |
|
Au décès de ma grand-mère (5 juin
1958), Marthe MARIGNY dût se résoudre à quitter cette maison où elle
travaillait depuis 37ans.
Elle loua un appartement rue Bassompierre à
Nancy qu'elle tint à partager avec "Tinou" et où elle continuait à
accueillir sa famille et surtout ses "nièces" (dont 2 jumelles que
l'Assistance Publique avait confiées à sa sœur "nini" après le départ
d'Antoinette et de Marie-Claude).
|
Lorsque les jumelles furent
en âge d'être scolarisées sur Nancy, pour préparer leur Bac, c'est
aussi naturellement que Marthe, qui travaillait en semaine, les
invitait à déjeuner tous les dimanche midi.
Sur la photo de droite, on
voit Marie-Claude (qui m'a fourni la photo), le jour de la communion
des "jumelles" |
|
Tinou était de santé très fragile
et décéda le 1/04/1964 à l'hôpital Villemin à Nancy dans les bras de Marthe.
C'est alors que Marthe s'installa rue
Coriolis dans un petit appartement au rez-de chaussée.
Avec courage et
toujours avec lucidité, elle affronta de lourds rhumatismes qui
handicapaient ses mains.
Sur la photo ci-contre, elle
fêtait ses 80 ans et avait souhaité avoir sa "pièce montée", sa
première, puisque la guerre l'en avait privée pour sa communion, et
qu'elle ne s'était pas mariée.
Elle s'est éteinte le 3 avril 1995 à Nancy et a
souhaité être inhumée à Port-sur-Seille dans la tombe des MARIGNY. |
|
Marie-Claude
BROVILLÉ, qui avait réussi à retrouver sa mère et à la rencontrer en un
lieu médicalisé, est toujours en quête de retrouver ses racines, de
mieux les comprendre, mais elle cherche toujours à retrouver ses deux
"grandes sœurs", Edwige et Chantal dont lui avait parlé sa mère (veuve
GANAY).
Une
quête
d'informations qui m'a amené à intervenir sur les listes généalogiques
que je pratique régulièrement, recueillir des conseils, lui donner des
pistes... (recherche d'un
acte de naissance en espérant y trouver les mentions marginales,
recherche de personnes ayant travaillé sur les mêmes patronymes et
mêmes communes).
Et nouvelle surprise... la personne que j'ai contactée (Marie Isabelle MAURY), lui est
parente, et... est une de mes anciennes élèves.
Et les recherches entamées ont abouti :
Edwige a été retrouvée par Marie-Isabelle MAURY. Edwige a rencontré
Marie-Claude et sa sœur Henriette, le 6 octobre 2012 à Vézelise.
Un
article de l'Est-Républicain, fort bien rédigé par Valérie RICHARD,
avec beaucoup de professionnalisme, de tact et de sensibilité, a relaté
l'évênement et a servi de catalyseur pour rechercher la sœur aînée
Chantal.
Chantal a en effet été
retrouvée et a été contactée pour aboutir à une rencontre chez
Marie-Claude à Valenciennes, le vendredi 19 octobre 2012.
Toute la fratrie reconstituée avait prévu de se réunir, avec leurs
descendants et celà aurait pu se dérouler à Port-sur-Seille...
|
Marie-Claude BROVILLÉ
s'est éteinte le 25 décembre 2015 après avoir lutté contre la maladie
et dans un dernier message elle écrivait : "Je suis apaisée, j'ai
atteint le but de ma vie qui était de retrouver mes sœurs".